La pénalité de la maternité : définition et solutions
Tout le monde sait qu’avoir des enfants coûte cher, mais saviez-vous que la maternité réduit en réalité les revenus des femmes tout au long de leur vie ?
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Après des siècles de mise à l’écart (politiquement, financièrement, artistiquement...), la condition des femmes a beaucoup progressé au cours des 20 dernières années. Pourtant, malgré tous ces progrès, les salaires des femmes restent encore inférieurs à ceux des hommes. Les chercheurs semblent identifier un facteur déterminant dans cet écart : la maternité. Nous nous intéresserons ici à ce que les experts appellent la « pénalité de la maternité ». Pour en savoir plus sur sa nature, sur son origine et sur les solutions possibles à apporter, poursuivez votre lecture. Pour faire simple, la pénalité de la maternité renvoie aux salaires inférieurs des femmes qui ont des enfants. Des études montrent que les mères risquent de voir leur salaire baisser de quelque 5 % par enfant par rapport aux femmes sans enfants, et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Aujourd’hui, les salaires des hommes dépassent ceux des femmes, et ce, quel que soit le pays. Baptisées « écart salarial entre les hommes et les femmes » ou « écart de rémunération entre les hommes et les femmes », ces estimations indiquent que le salaire médian des femmes est 23 % inférieur à celui des hommes de par le monde. Certaines études montrent également que la pénalité de la maternité est à l’origine de 80 % de l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes. Pourtant, une comparaison entre mères et pères révèle que la paternité ne touche pas les salaires des hommes de la même manière. Les recherches indiquent systématiquement une forte baisse du salaire des femmes après leur premier enfant, tandis que celui des hommes ne bouge pour ainsi dire pas. En 2019, une étude fondée sur les données du recensement des États-Unis a montré que les revenus des mères étaient inférieurs de 29 % à ceux des pères ; soit une différence moyenne de 16 000 dollars par an ! Les experts sont pratiquement unanimes : avoir des enfants a des répercussions négatives sur la carrière et le bien-être financier des femmes. Selon une étude comparative menée en 2019 sur les « pénalités liées aux enfants » dans différents pays, l’Allemagne affichait la plus forte pénalité avec des mères gagnant en moyenne 61 % de moins après l’accouchement. Et si la Suède (27 %) et le Danemark (21 %) affichaient les plus faibles taux de pénalités, ces pourcentages représentent tout de même une perte de revenus colossale, surtout au cours d’une vie. Avoir un enfant n’a rien d’une sinécure... et c’est un euphémisme. La grossesse et l’accouchement sollicitent énormément l’organisme et le processus de récupération peut être long, tant du point de vue physique qu’émotionnel. Les nourrissons et les jeunes enfants ont en outre besoin d’une attention quasi permanente, que leur mère les allaite ou non, mais certains pays et certaines entreprises ne sont guère généreux en congés de maternité... quand ils en proposent. Cette situation pousse les femmes à prendre des décisions difficiles concernant leur retour au travail, le recours à des services de garde d’enfants onéreux et la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie de jeune parent. La réinsertion professionnelle se complique encore davantage avec la présence de plusieurs enfants, surtout si ces derniers sont proches en âge. En outre, plus une femme reste longtemps chez elle, même à temps partiel, moins ses perspectives d’avenir et de revenu sont réjouissantes. Voilà pourquoi l’écart salarial entre les hommes et les femmes se creuse lorsque les femmes sont en âge de procréer. Bien que des initiatives telles que le congé parental payé pour les deux parents puissent aider, l’écart salarial entre les hommes et les femmes persiste même dans les pays où de telles mesures existent. Ce phénomène peut s’expliquer par la pression exercée sur les femmes pour qu’elles passent du temps avec leurs enfants dès leur naissance, ou par la volonté de ces dernières à rester chez elles pendant les premières années de leur enfant. Même dans des pays comme le Danemark, où les jeunes parents bénéficient de congés parentaux généreux, nombreux sont les hommes à ne pas profiter de leur congé de paternité payé. Cette décision résulte peut-être de clichés sexistes archaïques, mais elle peut aussi être motivée par des questions d’ordre pratique. Les femmes sont en effet confrontées à un marché de l’emploi où elles gagnent environ 20 % de moins que leurs partenaires masculins. Par conséquent, dans bien des familles, la mère décide de prendre la majeure partie du congé payé par l’État, en partie du moins, pour des raisons financières. Notons que la pénalité liée aux enfants touche également les couples lesbiens, quoique dans une moindre mesure pour chaque partenaire. Une étude norvégienne montre que, même dans les couples homosexuels, les femmes qui endossent un rôle plus important dans l’éducation de leurs enfants subissent des conséquences financières plus lourdes : la partenaire qui a donné naissance à l’enfant voit ses revenus chuter de 13 %, tandis que sa compagne ne les voit baisser que de 5 %. Cette étude ne relève aucune incidence pour les couples gays et n’inclut aucune donnée sur les personnes de genre différent. À l’éclatement de la pandémie de COVID-19 en 2020, près de deux millions de mères ont quitté le marché du travail. Le caractère tragique de cette situation ne sera jamais trop souligné. Selon les propos de l’économiste Michael Madowitz recueillis par Jessica Grosse pour le New York Times : « Peu avant le début de la pandémie, pour la toute première fois et quelques mois durant, nous avions observé un plus grand nombre de femmes au travail que d’hommes. Aujourd’hui, nous sommes revenus à un nombre de femmes actives équivalent à celui de la fin des années 1980. » Non seulement cette situation nous laisse avec une population active beaucoup moins diversifiée, mais elle peut également entraîner des répercussions désastreuses pour l’avenir professionnel et financier de nombreuses femmes. Cette interruption de travail peut compromettre leurs chances de retrouver un emploi, voire les plonger dans la pauvreté à un âge plus avancé. Des études montrent en outre que les femmes qui ne jouissent pas d’une indépendance financière courent davantage le risque de s’enliser dans un mariage malheureux, voire violent. Et le problème ne s’arrête pas là. La plupart des recherches tendent à montrer que les femmes ont connu davantage de pertes d’emploi liées à la pandémie que les hommes, et ce, dans le monde entier. En mars, l’Organisation internationale du travail de l’ONU estimait que le nombre de mères d’enfants en bas âge dans la population active avait diminué de 1,8 % entre 2019 et 2020, contre 1 % seulement pour les hommes. Et cette diminution a particulièrement touché les femmes de couleur. Un élément contribue incontestablement à cette situation : les femmes restent souvent à la maison pour garder les enfants lorsque les écoles et les crèches sont fermées. Le tableau n’est guère réjouissant pour l’avenir financier des femmes. Selon le rapport Global Gender Gap Report, au lendemain de la pandémie de COVID-19, les estimations du temps nécessaire pour réduire l’écart salarial entre les hommes et les femmes dans le monde sont passées de 99,5 ans à 135,6 ans, soit une augmentation d’une génération. En d’autres termes, si la tendance actuelle se confirme, la disparition de l’écart salarial entre les hommes et les femmes prendra plus de 135 ans. Lors d’une interview accordée en 2020, Francesca Donner, conseillère principale pour les questions de genre auprès du Secrétaire général des Nations unies, a déclaré : « Notre économie formelle fonctionne uniquement grâce au travail non rémunéré des femmes. Nous nous retrouvons ainsi avec une sorte de boîte noire au-dessus de la maison, et tout ce qui s’y passe ne présente aucune valeur monétaire. » Selon le rapport Global 2022 Gender Gap Report du Forum économique mondial, le temps passé par les hommes à effectuer des tâches non rémunérées ne représente qu’un tiers de celui que les femmes y consacrent. Ces tâches comprennent la garde des enfants, la prise en charge des personnes âgées, la cuisine, le nettoyage, les tâches ménagères, la tenue des comptes et les autres éléments essentiels à la gestion d’un foyer et à l’éducation d’une famille, et ce, indépendamment des cultures et des sociétés. En collaboration avec ONU Femmes, Ipsos a mené des recherches dans 16 pays et a conclu que les femmes passaient 31 heures par semaine à s’occuper de leurs enfants pendant la pandémie, contre 26 heures avant la crise sanitaire. Les hommes, en revanche, ont déclaré y consacrer quatre heures supplémentaires par semaine — passant de 20 à 24 heures. Le Centre de développement de l’OCDE indiquait en 2014 que les tâches familiales non rémunérées constituaient le « chaînon manquant » pour appréhender l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Les tâches familiales non rémunérées ne sont toutefois pas les seules à avoir creusé le fossé en matière de prise en charge des responsabilités familiales. Les femmes — en particulier les femmes de couleur — ont davantage tendance à travailler dans le secteur des aides à la personne, et à occuper des emplois liés à la prise en charge d’enfants ou de personnes âgées. Pourtant éprouvantes sur les plans physique et émotionnel, ces professions ne jouissent pas toujours du respect qu’elles méritent. Et si leur mission est vitale, ces travailleurs paient souvent un lourd tribut personnel : faible rémunération, horaires à rallonge et ascension sociale et financière limitée.La pénalité de la maternité touche les mères de plein fouet, de leur indépendance financière à leur santé mentale, en passant par bien d’autres aspects. Mais cette pénalité pèse également sur les autres. Dans le monde du travail, la mixité favorise la prise de décision, améliore le moral des équipes et contribue même à la rentabilité des entreprises. Les enfants de mères désireuses de travailler gagnent à les voir sur un pied d’égalité avec les autres membres de la population active. Quant aux femmes sans enfant, la pénalité de la maternité leur donne parfois le sentiment de devoir choisir entre fonder une famille ou poursuivre une carrière. Le bon côté des choses, c’est que nous pouvons accomplir énormément de choses pour parvenir à l’égalité financière des mères. Citons, entre autres, la mise en place de services de garde d’enfants universels, de congés familiaux payés pour les deux parents (et de congés familiaux obligatoires pour les pères), de crédits d’impôt pour les enfants ou d’allocations gouvernementales mensuelles par enfant, et de plans de retraite garantis pour les mères ayant quitté leur emploi pour élever leurs enfants. Les entreprises doivent également redoubler d’efforts en proposant des salaires plus équitables et des aménagements comme des horaires de travail flexibles et une possibilité de télétravail, des congés payés supplémentaires, des services de garde d’enfants et des salles d’allaitement sur site, ainsi que la garantie de l’emploi pendant et après le congé parental. Par-dessus tout, les mères ont besoin de soutien à la maison. S’attaquer à la pénalité de la maternité nous incombe à tous, sans exception. Comme le disait Gloria Steinham : « Tant que les hommes et les femmes ne seront pas égaux à l’extérieur du foyer, ils ne le seront pas à l’intérieur. » Comme toute autre forme de discrimination, l’écart salarial entre les hommes et les femmes, ainsi que la pénalité de la maternité, relèvent du pouvoir, et de ceux que la société juge dignes de l’exercer. Heureusement, avec une bonne dose de volonté et de motivation, nous pouvons bâtir un monde plus égalitaire, pour nos enfants et pour nous-mêmes.
Qu’est-ce que la pénalité de la maternité ?
Pourquoi la pénalité de la maternité existe-t-elle ?
Les conséquences dramatiques de la pandémie de COVID-19 pour les mères.
L’écart en matière de prise en charge des responsabilités familiales
Pourquoi la maternité est-elle pénalisée ?
Quelles sont les solutions pour endiguer la pénalité de la maternité ?
PAR ALISON RHOADESRédactrice Associée de N26
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